Les vieux d'Iwa et de Kiri

L'arène perçait l'horizon comme des os s'élevant d'une charnière. À vrai dire, même la plaine semblait morte ; la Deuxième Guerre y réduisit le niveau du sol d'environ un mètre, si bien qu'ils remplacèrent la terre par du charbon. D'ailleurs, on pouvait parfois marcher sur un composé de crasse et de viande humaine, qu'une explosion avait grillé ; là, quelques doigts découpés ou même des crânes surgissaient d'une touffe d'herbes noircies. Anciennement l'hôte par excellence des examens auxquels participaient les grands villages, ainsi que les plus petits, l'arène mesurait au moins 150 mètres de largeur ainsi que de hauteur. Même noircie par le souffle des explosions mais également par l'action du temps, elle se maintenait debout, digne de sa prestigieuse histoire et des hommes illustres à qui elle servit d'écrin le temps d'un combat. Des brèches de plusieurs dizaines de mètres la tailladaient ici et là, donnant l'impression qu'elle débordait d'ombre par ses plaies. Même son environnement semblait s'être enlaidit pour la rendre plus malheureuse encore : un ciel gris et dense empêchait le moindre rayon de lui apporter quelque couleur, et les alentours, dépecés de leur herbe et de leur lit végétal, ressemblaient à la peau ridée d'un vieux cadavre.

Pourtant, une silhouette grossissait au loin jusqu'à apparaître devant la bouche béante et morcelée de l'ancienne porte, après quoi la petite ombre leva son regard pensif et lourd vers les hauteurs, comme pour s'imaginer l'apparence de l'arène lorsqu'elle était encore au fait de sa gloire ; mais surtout pour se souvenir de la première fois qu'il s'était rendu ici. Vers dix voire douze ans, le jeune Guzayemon y reçut son premier titre de gloire : alors qu'il était ignoré même par son clan pour avoir échoué dans la maîtrise de la Lave et de la Vapeur, il parvint, dans une discrétion propre à son personnage, à gagner tant d'expertise qu'il écrasât en moins de deux minutes le favori de l'examen. Et de se retrouver à l’extrémité de sa vie, puis de se pencher au-dessus de son passé comme d'un gouffre sans fond, ne lui procura aucun des sentiments dont il avait l'espoir de retrouver la saveur lorsque, s'inscrivant au tournoi pour mettre en pratique ses nouveaux jutsus, il apprit dans quel lieu les organisateurs du tournoi souhaitaient l'envoyer avec son adversaire.

Mais il ne s'informa de rien d'autre : il ignorait l'identité de sa prochaine cible et avait trop d'expérience pour y voir une quelconque utilité d'ailleurs. À son âge, Guzayemon était passé sous les poings des plus grands hommes, et s'était attaqué à des clans aujourd'hui disparus ; la seule chose qu'il craignait était d'affronter un homme aussi vieux que lui, car il n'aurait plus sur lui l'avantage de l'expérience. Achevant cette pensée, « la Muraille » rentra dans le sanctuaire de sa première gloire. Mais aucun cris, aucun bourdonnement désagréable de mille voix se mêlant sans interruption, ne l'accueillit. L'endroit était bercé d'une sérénité apaisante. Si petit au milieu d'un édifice aussi grande, Guzayemon se sentait délicieusement écrasé par les nombreux noms illustres qui s'inscrivirent dans l'Histoire ici-même, sous ses petits pieds d'homme de la Brume venu non pas par haine du genre humain ou pour les gains que le tournoi offrait au gagnant, mais pour exécuter des stratégies dont il rêvait depuis longtemps. Sa nomination au poste de gardien du village après l'arrivée au pouvoir de Meï le rendit à sa vocation première : combattre. Et les générations, les techniques, l'art de la guerre ayant globalement évolué, il s'enferma plusieurs semaines pour actualiser son parchemin, et n'en sortit que pour s'inscrire immédiatement, et disparaître de Kiri en marche vers l'arène.

Le matin était encore frais. Guzayemon ne s'inquiétait de rien. Il marchait comme toujours, et rien ne permettait de savoir s'il allait se battre, ou s'il allait cueillir des champignons. Personne d'ailleurs n'était capable de lire dans ses intentions ou dans sa volonté. Lorsqu'il apparaissait dans une salle, muet comme à son habitude, le personnel angoissé gardait un œil faussement discret sur lui pour se renseigner sur ses agissements. Ici même, le Terumi avait l'air grave des hommes se recueillant devant une tombe. Il attendait, bien sûr, que l'Iwajin dont il ignorait l'existence vint au rendez-vous. L'homme n'était pas en retard, non – Guzayemon arrivait toujours en avance. D'ailleurs, une si bonne habitude lui permit de prendre un peu l'avantage sur la suite des événements ; et le vieil homme, insufflant dans ses poumons une grande quantité d'air, la malaxa peu après avant de recracher par les narines ainsi que par la bouche de longues et épaisses vagues de brume, si blanches, si poudreuses, qu'il devint impossible de voir à travers. Bientôt toute l'arène se remplit de quelques mètres nuageux ; la laissant même se dissoudre au-delà de ses murailles ; et la ruine ressembla de loin à un cendrier, voire même à un cratère fumant.

(AC) - Ridiculement petit au milieu de l'immensité brumeuse qu'il avait invoqué, Guzayemon se demande pourquoi les organisateurs du tournoi – de gros bourgeois très laids, très mal organisés, très lents et très incompétents – les avaient envoyé ici. Il se souvint que les mêmes bourgeois étaient tant incapables de bien ordonner leurs volontés qu'ils louèrent les arènes les plus improbables, les plus abandonnées, et les moins disposées à accueillir un combat. Leur faible coût devait expliquer un tel choix. Mais il devait y avoir plus... peut-être désiraient-ils éloigner les hommes susceptibles de détruire non pas seulement l'adversaire mais l'arène avec ? Peut-être n'avaient-ils pas envie de louer une arène neuve et très chère, puis de la retrouver une heure plus tard rasée du monde et la ville avec ? Alors, Guzayemon émit tout de même un doute sur son opposant du jour. Il spécula avec amusement sur sa probable identité – tout du moins sur ses pouvoirs. Un Illusionniste ? Un Uchiha, peut-être ? Voire même : un Démon ?

Les vieux d'Iwa et de Kiri

Les ruines dentelées et sombres de l'arène débordaient d'une brume lourde, lente ; et qui pourtant s'élevait dans l'air par lambeaux avant de s'y dissoudre ; pareils aux nuées matinales des bois les plus humides du pays. Au milieu, Guzayemon attendait son adversaire. À vrai dire, il patientait depuis si longtemps qu'il vint à douter de sa venue ; mais tout en se préparant à l'éventualité d'une victoire sans action, il gardait au fond de lui l'intime conviction de ne pas partir, et même de rester sur ses gardes. Il n'avait pas user du Kirigakure par simple avantage ; mais également par crainte que son ennemi ne l'ait attendu dissimulé, et ne soit arrivé bien avant lui, veillant à ce que l'ennui n'abaisse sa garde un instant. Mais l'expérience guidait chacune des actions du vieil homme. Une Muraille ne dormait jamais ; et Guzayemon s'était trop habitué à ne plus avoir de sommeil pour que ses sens s'affaissent au moment où il en avait le plus besoin. Tandis qu'il pensait au prochain duel qu'un tel retard rendait de plus en plus évident, l'Iwajin apparut au bout du couloir faiblement éclairé qui s'élevait à l'opposé d'où Guzayemon était rentré, et qui ressemblait d'avantage à la gueule difforme d'un géant pétrifié dans sa dernière douleur, qu'à la porte d'une arène. Et lorsque les quelques rayons du jour parvinrent à disperser l'obscurité du couloir, et à dévoiler le visage de l'homme qui s'y trouvait, Guzayemon sentit sa gorge se serrer, comme si une corde élastique la comprimait de plus en plus fortement.

Heureusement, Guzayemon avait accumulé suffisamment d'expérience pour ne pas réagir comme un adolescent face à son premier démon à queues. Déjà par le passé, la Muraille avait participé à la traque puis à la capture d'Isonade ; devenu depuis le bijoux militaire de Kiri, de même qu'Ichibi l'était pour Suna. Même si l'apparition d'un Yonbi le surprit et jeta dans ses entrailles une froideur, non seulement Guzayemon ne laissait pas une émotion marquer ses rides, mais il redevint bien vite aussi tempéré et neutre qu'il ne l'était en arrivant dans l'arène ; et, tout en expirant très lentement son émotion, se souvint des mouvements, réflexes, et autres notes qu'il avait enregistré dans sa mémoire lors de la traque d'Isonade. La brume dans laquelle Guzayemon se trouvait rendait la présence de Roshi moins pesante. Se savoir en sécurité et invisible étouffa sa crainte comme un grand feu. Que l'Iwajin se promenât à corps perdu dans la brume l'aurait très probablement mené à une défaite rapide ; aussi, l'instinct de Guzayemon lui murmura qu'il ne devait pas s'attendre à ce que Roshi prenne une telle décision. Le vieil homme, qui ne l'avait jamais rencontré auparavant malgré son âge, savait seulement à son sujet les quelques rumeurs dont un homme aussi célèbre était sujet partout dans le monde.

À la seconde où Guzayemon remarqua le peu d'informations qu'il avait sur son adversaire, le sol, comme pris d'une secousse, obligea la Muraille à sauter en arrière, de peur qu'une pique rocheuse ou qu'un poing ne surgisse sous ses pieds. Avoir contre soit l'un des plus grands manipulateurs du Dôton, et devoir le combattre dans des ruines et sur un sol minéral ; voilà qui appuyait un peu plus la balance du duel en faveur de l'Iwajin ! Mais Guzayemon savait trop bien – pour avoir gagné des duels de nombreuses fois – qu'on ne l'emportait pas selon le nombre d'avantages que l'on amassait contre son ennemi, mais selon sa précision, sa rigueur et son génie ; de même que l'archer le plus à même d'être victorieux n'est pas celui qui possède le plus de flèches, mais qui vise le mieux.

Soulagé que les tremblements sous ses pieds n'annonçaient aucune attaque, Guzayemon vit s'élever au niveau de la porte d'où Roshi devait rentrer une sorte de gros cube rocheux, une ombre géométrique immonde sortie d'on-ne-sait-où, et au-dessus duquel l'Iwajin attendait. Guzayemon esquissa un sourire. Voyant l'ingéniosité de son adversaire, la Muraille comprit qu'il aurait là un bel affrontement ; un affrontement digne de la vieille génération qui avait survécu aux Grandes Guerres. Roshi s'était constitué une sorte de tourelle d'observation afin de se soustraire à l'aveuglement général que Guzayemon avait répandu dans l'arène. Là-haut, non seulement il était difficilement atteignable, mais il voyait en plus d'où le Kirijin attaquerait. Néanmoins, Guzayemon restait secrètement ravi que pour se sortir d'une rang D, Roshi dut utiliser une rang A.

Une deuxième secousse prit bientôt le sol ; si bien qu'à son habitude, Guzayemon leva les yeux vers l'Iwajin, comme pour deviner quelle stratégie il mettait en place. Voulait-il tirer aveuglement dans la brume depuis sa tour ? Non : Monsieur changea la décoration. Et la terre se déroba sous les pas du Kirijin. En vérité, le niveau de l'arène se recouvrait de cratères ou de bosses ; un mont s'éleva sous son pied droit tandis que le sol s'affaissait sous le gauche, et Guzayemon dut sauter d'une place à une autre, tandis que des montagnes s'en allaient percer les nuages ; mais sans qu'un tel jutsu ne parvint à mettre à mal le vieillard de Kiri. Peu après, le décor se stabilisa, jusqu'à ne plus bouger ; et le tout ressemblait grandement aux paysages d'Iwa, où des monticules de roches côtoyaient des descentes perpendiculaires, voire des cratères difformes. (AC) – Reprenant une place avantageuse, Guzayemon leva à nouveau ses yeux lourds et froids vers la position de Roshi. Il examina bien vite la taille de sa plate-forme, et la savait encore trop étroite pour que l'Iwajin puisse aisément s'y mouvoir, par exemple pour esquiver des shurikens géants.

Guzayemon devait l'en dégager. Une telle nécessité s'imposa devant toutes les autres, car aucune stratégie n'était envisageable sans l'accomplissement de cette condition. Alors, le vieillard concentra du chakra dans ses pieds, plia graduellement les genoux, puis jaillit dans un saut ample et haut vers Roshi, entraînant dans sa course une légère traînée de brume, si bien qu'il ressembla un instant à un missile. Tandis qu'il se rapprochait de plus en plus de l'Iwajin, le vieil homme – qui ne pouvait néanmoins pas l'atteindre à plus de 100 mètres de haut – déroula rapidement le parchemin qu'il tenait attaché dans son dos, et lança, à plusieurs dizaines de mètres du sol, cinq shurikens géants vers le Jinchuriki, auxquels il donna de légères nuances rotatives afin qu'elles l'attaquassent de tous les côtés, et ne le laissassent point rester sur sa tour, qui était un trop grand avantage. En tirant, Guzayemon semblait danser. Il avait acquis une telle expertise que ses shurikens fendirent l'air avec une rapidité admirable, tandis que leur utilisateur s'apprêtait à atterrir sur la paroi de la tour où se trouvait son adversaire. Ainsi donc, comme il n'avait pas un diamètre assez grand pour échapper aux cinq gros projectiles tout en s'y maintenant, Roshi serait contraint d'en sauter, ou de s'en échapper d'une autre manière. Néanmoins, le désavantage d'une telle attaque était qu'elle exposait Guzayemon durant quelques instants à l'Iwajin, particulièrement durant son saut, qu'il ne pouvait dévier. Envoyer ses shurikens géants – il l'espérait – devait probablement lui laisser le temps d'arriver à sa destination ; soit à quelques dizaines de mètres sous Roshi, pour bien s'assurer qu'il ne resterait pas là, et se rendrait au plus vite dans le bas de l'arène qu'il avait creusé et recouverte de monticules rocheux.

Les vieux d'Iwa et de Kiri

Si les gradins avaient été pleins de spectateurs ou du plus petit nombre de curieux, ils se seraient très vite aperçus que la situation ne pouvait pas être plus défavorable à Guzayemon : il n'avait pas la condition physique ni la masse musculaire de Roshi, il n'avait pas non plus son endurance ou ses réserves d'énergie quasi illimitées, aucun démon à queues ne sommeillait en lui, et il n'avait plus l'âge de se déplacer d'un point à l'autre d'une arène de 150 mètres de longueur. Et pourtant, Guzayemon menait le duel à son avantage. Et même s'il n'avait pas l'âme d'un Yonbi en lui, la sienne ne s'était pas ramollie durant des décennies perdues à méditer, et était dépourvue du moindre sentiment qui, au combat, devenait un obstacle à la pensée et au discernement. Quelques minutes à peine s'étaient écoulées, durant lesquelles la Muraille de Kiri semblait être le chasseur, et Roshi le petit lapin gambadant dans toute l'arène pour lui échapper. Il était étonné que l'Iwajin, pourtant si supérieur en puissance et en chakra, n'ait pas pris l'ascendant dès le début, et n'ait pas usé de puissantes techniques pour le mettre en difficulté. Non : le Jinchuriki élevait des plateaux dans les airs, observait l'arène depuis sa position, et attendait que Guzayemon réagisse. En somme, il réagissait comme un Genin mis à mal par son instructeur ; et le Kirijin, ancien professeur de Zabuza, savait comment punir de tels élèves.

Le vieillard de la Brume, lui, s'était exposé à Roshi durant un long saut – et l'Iwajin n'avait pas réagi. Il était pourtant incapable de se défendre durant une poignée de secondes précieuses, et était tout offert à la plus petite attaque de son adversaire – mais il n'en fit rien. Cela l'étonna tout en expiant la petite angoisse qui sommeillait en lui. Se pouvait-il qu'un homme aussi expérimenté ait laissé passer une telle chance ? En tous les cas, Guzayemon doutait déjà de l'issue d'un tel combat, car il sentait bien que Roshi retenait ses coups, soit par lâcheté, soit par manque de réflexion. Mais dans les deux cas, son opposant du jour était pas au meilleur de lui-même. Alors qu'il aurait pu se servir de son immense maîtrise du Dôton pour empaler Guzayemon durant son saut, ou pour le faire choir de la tour où il s'apprêtait à atterrir, le vieil homme d'Iwa se contenta de disparaître dans le mur. Le voyant, Guzayemon, alors à une dizaine de mètres du sommet de la tourelle, se mit verticalement en course et, quelques secondes plus tard, atteignit l'endroit où Roshi s'élevait auparavant.

À quelques centimètres du mur, il était exposé à la moindre attaque de front. Et cela – considérant son poids, et le poids de Roshi – ne pouvait qu'être mortel ; aussi, sans perdre de temps à penser, il joignit ses mains, sur lesquelles étaient tatouées deux sceaux, après quoi un léger nuage propre aux invocations se dissipa dans l'air ; puis deux lourdes chaînes jaillirent de ses paumes. De telles armes, de par leur longueur et la puissance de leurs lames, ne pouvaient qu'endommager, même fébrilement, la structure. L'objectif n'était évidemment pas de blesser Roshi ; cela restait impossible, mais du moins de le contraindre à réagir, même si cette même réaction devait se faire aux dépends de Guzayemon. Le point faible d'une technique de camouflage élémentaire était que l'utilisateur ne pourrait pas user de signes ou de sceaux à l'intérieur de sa cachette. Kiri avait d'ailleurs compris cela en élaborant sa propre Brume de rang D, qui n'avait pas d'égale dans le monde ninja. À cette même pensée, et sans perdre de temps, Guzayemon recula autant qu'il le put puis, avec une expertise aussi vieille qu'il ne l'était, commença à marteler les murs en ruine de l'arène ; et il devint extrêmement aisé pour lui d'en arracher des morceaux gros comme plusieurs briques, car la vieillesse, le manque de résistance et la pourriture de l'édifice, non seulement rendaient sa destruction plus facile, mais devaient être très inconfortable pour l'Iwajin apeuré.