Tout était fini. La fuite, mon instinct de survie s’était estompé à l’égard du village de Kiri. J’étais redevenu celui que j’étais avant cette nuit, cette nuit où j’ai cru que l’on m’avait arraché cette confiance que je vouais envers mon village. Mais je m’étais trompé, Harusame-senseï n’a jamais cessé de penser à mon bien être. Même si j’avais dompté la puissance de Saiken contrairement à mes prédécesseurs, il n’a cessé de penser à moi... Il savait que plus tard, le pouvoir de mon démon irait en de mauvaises mains et que cette «quête» de puissance se solderait par ma mort. Il a voulu tuer Saiken en le sortant de mon corps, sans me tuer. Mais j’étais aveuglé par la colère et je n’ai pas pris la peine de réfléchir, décidant de tuer mon maître. Il ne m’avait jamais fait part de ce projet, et je savais désormais pourquoi il avait fait ça. S’il s’est reclu dans le silence cette nuit... Il voulait voir la relation que j’avais avec Saiken. Aussi étrange que cela pouvait paraître, je pouvais maintenant discerner les intentions qu’il eut à mon égard. Je me souviens de sa stupéfaction face à ma métamorphose, il n’avait pas peur... A l’époque j’étais persuadé que cette sensation était omniprésente en lui, mais aujourd’hui je sais qu’il était satisfait de ce que je pouvais accomplir avec celui qui demeure en moi. Dire que je n’ai plus de maître c’est mentir... J’en ai deux. Celui qui a voulu me protéger des êtres avides de puissance, et celui qui fait que je suis encore en vie aujourd’hui. Harusame-senseï & Saiken. Quel réceptacle pourrait considérer son démon comme un mentor ? Eh bien... moi. Saiken a toujours été un guide depuis qu’il m’a confié son prénom, depuis que je me suis montré apte à dompter sa force sans sombrer dans la démence. C’était mon ressenti sur toutes ces années, ces choses qui m’étaient jusqu’à présent invisibles à cause de mon entêtement, ma colère. Je n’ai pas su rebondir comme il le fallait et comme sanction je me vois endurer des années de culpabilité. C’est un châtiment bien adapté pour mes erreurs, et je saurai porter ce fardeau que je soulèverai de toutes mes forces avec Saiken, mes élèves, ma famille, mes proches... Mon village.

Un jour viendra où je retournerai auprès de mon maître. Mais ce jour ne viendra que lorsque j’aurai poursuivi assez longtemps son but. Ce but qui est de transmettre le savoir aux jeunes générations. J’ai eu du mal à accepter mon rôle de maître, mais désormais je sais que je pourrais faire comme il a fait avec moi. Je prendrai en charge une équipe qui recevront tout ce que je sais. Je ferai en sorte qu’ils puissent s’épanouir en toute sécurité au sein du village. Je ne laisserai personne  leur faire du mal, ils sont désormais mes héritiers. Ceux qui transporteront tout le savoir que j’ai accumulé durant toutes ces années d’existence. Je pense avoir été assez clair de toute façon à propos de tout ça. Mes pas se faisaient discrets, presque imperceptible dans cet endroit que je n’ai connu qu’un soir. Sa tombe était devant l’endroit où il s’était éteint. Devant cette grotte organisée en repaire de Kirijin que j’ai littéralement fait exploser en faisant sortir Saiken.. Dans mes mains, un bouquet renfermant un grand nombre de fleurs. J’avais fais le choix de celles-ci en fonction des couleurs qui s’imprégnaient dans les pétales. Des violettes pour souligner la profondeur des sentiments que pouvait avoir un élève envers son maître, et la délicatesse pour soutenir de multiples remerciements à son égard. Des fleurs se mariaient aussi dans le jaune reflétant logiquement la lumière, le talent dont nous pouvions tous faire preuve. Le orange s’invitait dans une certaine gaieté et satisfaction que j’éprouvais désormais au quotidien. Je ne prêtai guère attention aux ruines du repaire, me concentrant sur la fameuse tombe.

Je me suis agenouillé devant la pierre tombale. Je n’attendis pas plus longtemps avant de déposer le bouquet sur l’herbe à quelques centimètres de l’endroit où était inscrit son nom & prénom. Un fins soupire se libéra d’entre mes lèvres pour se mêler à la brise de la région. Un léger frisson me parcouru, me forçant à refermer les deux revers de mon kimono pour empêcher le vent de parcourir d’avantage mon corps. Le regard se durcissant, mes pupilles étaient dirigées vers les mots gravés dans la roche de la pierre tombale : Aussi longtemps ais-je vécu, ma mission est accomplie, c’est à vous de poursuivre. Nous devions respecter sa dernière volonté, mais cela comptait aussi bien pour la haute hiérarchie et les moins gradés. En fait ce message pouvait être adressé à tous les Kirijin actuels, on allait devoir faire en sorte d’enseigner aux futures générations. «Je suis de retour Harusame-shishõ.. J’ai repris du service...» Un brin nostalgique, je ne pouvais pas nier qu’enseigner comme il l’a fait à mon égard faisait germer en moi une sorte d’impatience. Ma main frôla la tombe, le bout de mes doigts caressèrent la matière. Je m’étais mis seiza pour me recueillir un peu, mes mains se posant aussitôt sur mes genoux et voilà que je pris une dernière fois la parole: «Pardonnez moi maître... Mais soyez sûr que désormais... Je poursuivrai votre oeuvre.»